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Non-interruption de l’instance : opposabilité au liquidateur de la mesure d’expertise ordonnée

Affaires - Commercial
04/05/2021
Si un arrêt, rendu après la mise en liquidation judiciaire d’une société sans la mise en cause de son liquidateur, est non avenu à l'égard de ce dernier, la désignation d’un expert judiciaire par cette décision demeure valable, en l'absence d'indivisibilité, à l'égard des autres parties : les opérations d'expertise peuvent être déclarées opposables au liquidateur de la société dès lors qu'il a été assigné à cette fin par un acte postérieur.
En application de l’article L. 622-21 du code de commerce, le jugement d’ouverture de la procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part du créancier dont la créance tend notamment à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent, l’article L. 622-22 du même code précisant que les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance.
 
Dans le présent arrêt, la Cour de cassation est amenée à rappeler les conditions d’application du principe d’arrêt des poursuites individuelles.
 
Selon les faits de l’espèce, une SCI X… – maître de l'ouvrage d'une opération de construction immobilière portant sur plusieurs logements locatifs destinés à être vendus en l'état futur d'achèvement – avait, les 26, 27 et 29 mai 2017, assigné plusieurs intervenants à la construction et leurs assureurs, parmi lesquels la société Y…, devant le juge des référés pour obtenir la désignation d'un expert judiciaire ; un arrêt infirmatif du 28 juin 2018 avait ordonné l’expertise sollicitée. La société Y… ayant été mise en liquidation judiciaire par jugement du 10 avril 2018, la SCI avait assigné le liquidateur devant le juge des référés le 13 décembre 2018 afin que la mesure d'expertise lui soit déclarée opposable. Le juge des référés avait accueilli cette demande par ordonnance du 14 février 2019 ; faisant valoir que l'arrêt du 28 juin 2018, ayant ordonné l'expertise, était réputé non avenu pour avoir été rendu en dépit de l'interruption de l'instance consécutive à l'ouverture le 10 avril 2018 d'une procédure de liquidation judiciaire à l'encontre de la société Y…, le liquidateur avait interjeté appel de cette décision.
 
Instance tendant à l’obtention d’une mesure d’instruction in futurum
 
La cour d’appel a confirmé l’ordonnance contestée, estimant que l’instance tendant à la désignation d’un expert n’avait pas été interrompue par le placement en liquidation judiciaire de la société Y… (CA Paris, pôle 1, ch. 3, 11 sept. 2019, n° 19/05382, Lamyline). Les juges du fond ont considéré que toutes les instances ne sont pas interrompues par la procédure collective mais seulement celles tendant à la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, ce qui n’est pas le cas de l’instance tendant à l’obtention d’une mesure d’instruction in futurum.
 
Invoquant notamment la violation, par refus d'application, des articles L. 622-21 et L. 622-22 du code de commerce, le liquidateur a porté le litige devant la Cour de cassation. Mais, pour cette dernière, la décision est légalement justifiée.
 
La Haute juridiction ayant d’abord énoncé :

— que l’arrêt retient exactement que l’action en référé expertise ne contrevient pas à la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, de sorte que la SCI n'était pas tenue de justifier d'une déclaration de créance devant le juge des référés saisi sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile,

— et que, selon l'article 372 du code de procédure civile, le caractère non avenu d'un acte ou d'un jugement ne joue qu'à l'égard de la partie bénéficiaire de l'interruption de l'instance dans le cas où le litige est divisible,
 
il en résulte que si l'arrêt du 28 juin 2008, rendu après la mise en liquidation judiciaire de la société Y… sans la mise en cause de son liquidateur, était non avenu à l'égard de ce dernier, la désignation de l'expert judiciaire par cette décision demeurait valable, en l'absence d'indivisibilité, à l'égard des autres parties, de sorte que les opérations d'expertise pouvaient être déclarées opposables à la SCP Z…, en qualité de liquidateur de la société Y…, dès lors qu'elle avait été assignée à cette fin par un acte du 13 décembre 2018.
 
Le pourvoi est rejeté.
 
Pour aller plus loin
Pour des développements complémentaires sur l’interruption des actions en justice à la suite du jugement d’ouverture, se reporter aux nos 3488 et s. de l’édition 2021 du Lamy droit commercial.


 
Source : Actualités du droit